Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Se connecter
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?
Inscrivez-vous gratuitement
- Cinéma
Le film de l'Italien Luca Guadagnino met particulièrement en valeur l'actrice Tilda Swinton.
ParThomas Sotinel
Temps de Lecture 3 min.
Rarement l'injonction qui précède cet article n'a été aussi justifiée : Amore ne se décrypte pas, se comprend sans difficulté ni surprise, il se voit. Ce film somptueux parvient à transmuter toutes les sensations - le toucher, le goût, l'odorat - en images. Plus l'écran sera grand, plus il sera facile et exquis de s'abandonner à cette débauche sensuelle.
L'histoire simple et maintes fois contée d'Amore commence en gris et noir, dans l'hiver milanais. Dans une maison austère, la famille Recchi est réunie autour de son patriarche. Le metteur en scène Luca Guadagnino fait filer et tourner sa caméra dans les grands espaces froids (même si l'on ne doute jamais de la qualité du chauffage central) de la demeure dont la taille n'a d'autre raison d'être que d'affirmer le statut social de cette dynastie industrielle.
Trois générations sont représentées : le grand-père Edoardo (Gabriele Ferzetti) et son épouse (la ci-devant comtesse Barry Lyndon, Marisa Berenson) ; son fils Tancredi (l'homme de théâtre Pippo Delbono) et son épouse, Emma (Tilda Swinton), et leurs trois enfants, Edoardo (Flavio Parenti), Gianluca (Mattia Zaccaro) et Elisabetta (Alba Rohrwacher).
Dans cette tribu sombre, la beauté lumineuse d'Emma attire bientôt les regards. On comprend bientôt que cette pièce rapportée l'a été littéralement, de Russie, où Tancredi a été la chercher pour faire de cette jeune Soviétique une grande bourgeoise lombarde. Elle règne avec sérénité sur la domesticité jusqu'à ce qu'un ami du jeune Edoardo fasse irruption dans la grande maison, un gâteau exquis à la main. Antonio (Edoardo Gabbriellini) est cuisinier, et son gâteau est le reflet inversé de la pomme de la méchante reine de Blanche-Neige. Les mets que prépare Antonio sortent Emma du sommeil des sens dans lequel l'avait plongée son mariage.
Bien avant que sa liaison avec Antonio ne soit consommée, Emma connaîtra une première extase en mordant dans une gamba que le jeune homme a cuisinée. Il suffit d'un peu de scepticisme pour trouver la séquence ridicule. Mais aussi d'un peu d'abandon pour partager l'extase de Tilda Swinton, qui passe par le jeu des textures - la peau translucide de l'actrice écossaise, la chair du crustacé. Les lumières changent comme si le monde passait à travers des astres inconnus et la musique enfle.
Car on a un peu exagéré en affirmant plus haut que les images transmettaient toutes les sensations. Luca Guadagnino a obtenu du compositeur américain John Adams l'autorisation d'utiliser des extraits de ses partitions d'opéra et de ses pièces symphoniques pour accompagner son film. Cette bande originale l'est vraiment et les vagues sonores d'Adams viennent encore accentuer le vertige que Guadagnino entretient sans relâche.
Le jeune metteur en scène n'aurait pas pu faire exister son film sans Tilda Swinton. On dirait qu'elle a mis dans ce rôle la quintessence de ses expériences précédentes, de la souveraineté glaciale de Narnia à la fragilité abjecte dont elle faisait preuve dans Michael Clayton. Luca Guadagnino la filme avec une fascination obsessionnelle. Tantôt, il s'abîme dans la spirale de son chignon (comme le faisait Alfred Hitchcock dans celui de Kim Novak), tantôt il dévoile son corps le temps d'une séquence amoureuse qui doit beaucoup à D. H. Lawrence.
Amore (qui s'appelait en italien Io sono amore, "je suis amour") n'est pas un film parfait. Il est plein de digressions inopportunes - les révélations sur la sexualité de la jeune Betta (encore que Guadagnino tire le meilleur parti des correspondances entre les physionomies de Tilda Swinton et Alba Rohrwacher), les tribulations économiques de la tribu Recchi. Et le scénario (oeuvre collective sur une idée du réalisateur) ne se hisse pas toujours à la hauteur de la mise en scène. Mais il faut fouiller dans sa mémoire pour en rapporter ces réserves, qui restent cachées par l'éblouissement que provoque la projection d'Amore sur grand écran.
Film italien de Luca Guadagnino avec Tilda Swinton, Alba Rohrwacher, Pippo Delbono, Edoardo Gabbriellini. (1 h 58.)
Thomas Sotinel
L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenuLe Monde Ateliers
Découvrir
Lecture restreinte
Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article
Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.